Chère Adele,

Nous n'avons toujours pas eu de tes nouvelles depuis ton départ, ce qui est réellement inconvenant de ta part puisque c'est à toi de prendre la peine d'écrire quand tu sais très bien que j'ai un emploi du temps vraiment charger. Mais comme toujours, tu fais passer ton bonheur avant celui des autres, ton égoïsme finira par te perdre ma fille. Je me demande de qui tu peux tenir ce trait de caractère, car il est certain que ce n'est pas de moi.

Ici tout va très bien, nous sommes comme toujours très fiers de ton frère qui nous ramène d'excellent résultat scolaire et il a eu l'honneur d'être élu chef de sa classe pour cette année. Cela fera très bien sur son dossier scolaire pour sa future entrée à l'université. Il pense opter pour Sciences Po, mais il a encore un peu de temps devant lui comme je n'arrête pas de lui répéter, mais il a toujours su ce qu'il voulait. Je pense qu'il ira très loin, c'est un homme de conviction et qui sait obtenir ce qu'il veut. Samuel est un amour d'enfant, mais il me reprendrait en me disant que ce n'est plus un bébé. Qu'est-ce que je suis heureuse de l'avoir près de moi. Enfin bref, je ne t'écris pas pour faire l'éloge de ton frère, même s'il le mérite amplement. J'ai eu des nouvelles de Madame Letellier, qui a eu le goût de m'envoyer les modèles des robes qu'elles proposent pour cette nouvelle saison. Quelques-unes ont retenu mon attention et je me suis permis de te mettre les croquis avec cette lettre, en attendant ta réponse qui n'arrivera certainement jamais.

Je te laisse donc, ton père me demande de te transmettre le message suivant : celui de faire des efforts en latin, ce quinze que tu as eu est une véritable déception. quant à moi je te ferais part du fait que j'aimerais une amélioration de ton assiduité au cours de bienséance. Depuis ton enfance je fais en sorte que tu est d'excellente manière et voilà que j'apprends que tu as eu seulement un seize de moyenne. Mais je ne vais pas me laisser aller à mon désarroi, tout en sachant que cela ne t'atteint pas une seule seconde.

Ta mère.

Je n'en crois pas mes yeux, comme à chaque fois, j'aurais mieux fait de ne pas ouvrir cette maudite enveloppe en reconnaissant l'écriture de ma génitrice. Tout en l'ouvrant, je savais que j'aurais encore un éloge de Samuel, de la perfection de ce fils qui aurait dû être le premier afin que je n'ai pas à voir le jour. Qu'est-ce que j'aimerais parfois moi aussi ne pas être venu au monde, ou tout du moins pas dans cette famille qui veut paraître parfaite mais qui ne l'est pas du tout. Je suis sortie dehors pour pouvoir la lire tranquillement, à l'abri des regards afin que ma camarade de chambre ne voie pas ma réaction. J'étais toujours disproportionnée quand il s'agissait de mes parents. Puis ces maudits modèles, ils sont tout simplement horribles et je sais très bien que je n'aurais pas mon mot à dire. Je vais ressembler à une meringue et comme toujours, je serais gauche et sans aucune féminité, dixit mot pour mot ce que finirais par dire ma mère. Le pire c'est que c'est elle qui aura choisi ma toilette. « Bon Dieu, qu'ai-je fait dans une vie antérieure pour subir ce cauchemar presque perpétuel ? » Voilà maintenant que je me mets à parler toute seule, je vais paraître folle, mais heureusement je crois que je suis seule. Ce coin du parc est assez éloigné des bâtiments pour que personne ne remarque ma présence et c'est une bonne chose par ce que je suis au bord de la crise de nerfs. J'ai vraiment dû être horrible pour qu'on me file des parents aussi lamentables que ça, enfin seulement avec leur fille. Parfois je me demande ce dont ça aurait été si j'avais moi aussi été un garçon, est-ce que Samuel serait venu au monde ? Énervée, je sors le paquet de cigarettes cacher dans la poche de mon manteau et en allume une tout en faisant attention de ne pas me faire prendre. Ne manquerait plus que je sois exclu de Lachlan par ma faute. La nicotine me fait du bien et je ferme les yeux un instant, juste pour oublier. Je sens la lettre glisser de mes doigts, mais peut m'importe, je ne vais pas lui courir après.