Il pleuvait. Les cieux semblaient avoir calculé l'heure et l'instant précis où une pluie diluvienne gâcherait l'après-midi d'une grande majorité des élèves de l'internat. Berwick-Upon-Tweed était inondé, des torrents de pluies descendaient les petites rues, glissant le long des trottoirs. Les parapluies noirs régnaient sur la petite bourgade qui n'avait jamais paru aussi triste. L'hiver était aussi désastreux sur le village que le printemps le rendait presque accueillant. Berwick vivait au gré des saisons mais n'évoluait jamais au fil des années. Theodore connaissait par cœur le chemin qui le menait jusqu'au petit cinéma, véritable témoignages que les ravages de l'histoire laissaient des séquelles mais n'anéantissaient pas tous les souvenirs. Il avait presque une vingtaine d'années à son compteur et le jeune homme ne comptait plus les fois où il avait foulé la moquette usée et mangé le pop-corn qui n'était pas toujours des plus gourmands. Il avait ri dans cette salle exiguë, il avait été choqué, tourmenté, ému parfois. Il avait même réussi à s'en faire chasser, il y a de ça deux ans. Mais aujourd'hui ça n'était pas vraiment avec insouciance qu'il attendait devant la personne qui allait l'accompagner. Bizarrement, Theodore se sentait nerveux. Son pied droit battait une mesure inaudible qui se jouait seulement dans son esprit. L'entrée du cinéma était toute juste abritée mais il avait déjà eu le temps d'être trempé avant même de parvenir jusqu'à l'abri. Son regard vert espiègle scrutait chaque silhouette qui se dessinait derrière ce brouillard humide à la recherche de Doris, sa petite amie. Il l'avait discrètement invitée au cinéma plus tôt dans la semaine. Il ignorait si elle avait eu son message, quoique le clin d'oeil furtif qu'elle lui avait adressé la veille était certainement signe d'approbation. Il l'emmenait voir le nouveau James Bond, Bons baisers de Russie. Il ignorait toujours ses préférences cinématographiques mais une fille demeurait compliqué de toute manière : il s'était donc fait avant tout plaisir avec ce choix. La pluie continuait de tomber sans cesse. La banane autrefois parfaitement gominée du chanteur ne ressemblait plus à grand chose : ses boucles brunes chutaient lamentablement sur son front et gouttaient allègrement sur son nez rougi par le froid. Cependant, il appréciait plutôt le tableau dont il était le principal acteur. Cette attente donnait un petit air dramatique la situation, la pluie violente ajoutait le soupçon théâtral qui laissait penser à un film romantique et guimauve dont les filles raffolaient tant. Néanmoins il fallait avouer qu'il n'avait aucune idée de la réaction de Doris. Cette fille était imprévisible, aussi lunatique et susceptible que lui. Peut-être même serait-elle capable de lui poser un lapin si le programme ne lui plaisait pas ou bien qu'elle avait encore appris par malheur qu'il s'était fait abordé. Oui Doris était une énigme à elle seule et parfois il comprenait pourquoi il s'était jeté dans cette relation d'adolescent sans même se poser la question une unique fois. Il aimait les dangers. Plus particulièrement, dernièrement, le danger était plus proche que jamais. Leur entente était un peu sous le même temps que Berwick aujourd'hui et s'il s'était risqué à passer du bon temps avec elle, il ne pouvait prédire comment tout ça se terminerait. Theodore jeta un coup d’œil par-dessus son épaule pour épier l'horloge. Elle était en retard.