⌘ Once Again ⌘
Roxane & Clifford

Le théâtre n'avait pour l'instant pas été l'outil espéré par Clifford pour se faire un tas d'amis. Comme trop de jours, la réalité le rattrape et lui rappelle à quel point il est faible autour des autres. Autres avec un A majuscule. Il finira bientôt par croire qu'il est atteint d'une maladie mentale qui l'empêche malgré lui de se mêler à la foule, de se fondre dans le moule. Pourtant, le plutôt joli garçon aux cheveux parfaitement peignés ne voulait que ça, faire le mouton, être normal, comme les autres. A sa façon. Peut-être le problème était-il là. Avant d'assister à l'énième répétition de Roméo et Juliette à laquelle il n'est qu'un remplaçant un peu triste, Cliff a une poussée de xénophobie aiguë, le sentiment d'être à jamais un marginal de cette école comme de la société. Prêt à lire un texte en serrant les lèvres, sans sourciller. Et puis c'est vrai ça, qu'est-ce que ça lui avait apporté, finalement, cette activité ? De timide il était passé à reclus, et de solitaire il n'avait guère évolué. Connaissant à moitié le prénom des membres, sauf peut-être celui de Roxane -et encore, ce n'est pas pour le nombre de mots échangés- autant dire que l'idée de quitter le groupe n'avait pas fait que frôler son esprit.

Et puis, et puis. Le moment où la lumière se braque sur vous et vous existez à nouveau, l'espace d'une seconde. Une bouffée d'air frais qui entra dans ses poumons comme une vague en plein visage. Le statut qu'il s'était donné presque tout seul, le substitut devient titulaire et votre vision change soudainement. Comme si un filtre venait de s'enlever de devant ses yeux. Comme un coup de fusil près des oreilles, qui vous force à vivre dans le présent. Lui ? Roxane ? La seule personne à qui il a parlé dans sa vie parmi tous ces beaux gens parmi eux ? La Roxane détestée par Hugh, et sûrement encore plus par Becky même si de chose à foutre elle n'en avait guère beaucoup ? Cette même Roxane dont il avait un souvenir ému des premiers jours passé à l'internat ? Encore plus ému quand il se remémore le fait d'avoir raté une histoire d'amitié probable ? Mille ans après, cette Roxane ? Très bien. Sans trembler, Clifford prit sa feuille et récita son texte de manière mécanique mais en y mettant le cœur nécessaire, sorte de définition de sa personne même. Ultime bon élève, il s'appliqua et fit apparaître un petit rictus au bout de son ultime tirade, comme pour remercier son interlocutrice d'avoir pris la peine de lui rendre le service de jouer avec le numéro deux, la doublure, le fantôme derrière le rideau.

C'est sans réelle ambition qu'il foule le couloir et quitte ce petit groupe qu'il jugea comme encore digne de son intérêt, au moins pour quelques semaines, le temps de redevenir l'ectoplasme qu'il se haïssait d'être. La silhouette de la belle blonde passe devant lui, laissant derrière elle un courant d'air parfumé qu'il prit la peine de retenir en inspirant la bouffée. D'instinct, presque animal, il tendit le bras dont le bout formé par son index frôla celui de la demoiselle. Conscient d'avoir sûrement enfreint quelques règlements en un seul geste, une rougeur lui monta aux joues aussi vite que son bras revint se coller le long de son corps. « Dis, euh...merci d'avoir joué le jeu, là-bas. » balbutia t-il en désignant d'un coup de tête la salle qu'ils venaient de quitter. « Je n'ai pas souvent l'occasion de briller, tu sais. » Cliff se gratta le dos de la nuque en plissant doucement les yeux. Discrètement, les paumes de ses mains se collèrent le long de son pantalon afin de masquer sa nervosité grandissante.